Jean-Marcel Humbert, historien et conservateur général du patrimoine, travaille depuis plus de trente ans sur l'égyptomanie. Qu'est-ce que l'égyptomanie ?
A la boutique du British Museum, on peut acheter salières et poivriers en forme de vases canopes, ces récipients dans lesquels on mettait les viscères des momies ! C'est le détournement d'un objet, tant dans sa forme que dans sa fonction, qui constitue l'égyptomanie. Dès les débuts du cinéma, elle s'est imposée avec des Cléopâtre, des péplums. Sa place est importante aussi dans la bande dessinée : tous les héros, de Bibi Fricotin à Tintin, en passant par Blake et Mortimer, sont allés en Egypte... Chaque époque a eu sa propre relecture de l'art égyptien, y ajoutant des caractéristiques stylistiques locales et datées : un sphinx du XVIIe siècle ne ressemble pas à un sphinx du XIXe. Depuis les années 70, l'égyptomanie est devenue un domaine autonome de l'histoire de l'art, étudié comme tel dans les universités, et est l'objet de publications de plus en plus nombreuses.
L'égyptophilie, elle, désigne le goût pour l'Egypte, qui peut même se transformer en égyptopathie : quelqu'un qui se fait construire sa tombe à l'égyptienne ou sa maison en forme de pyramide avec sphinx et décors floraux en est frappé...
A quand remonte l'égyptomanie ?
Si le phénomène existe dans tout le monde occidental, la France et l'Angleterre ont toujours eu une relation particulière avec l'Egypte depuis la campagne de Bonaparte. Mais l'égyptomanie a commencé bien avant. Elle est présente dès le XVIe siècle : à Fontainebleau, on peut voir une porte égyptienne de cette époque, et au château de la Bastie d'Urfé à Saint-Etienne-le-Molard (Loire), un sphinx égyptien. On se fondait alors sur les récits des voyageurs, on savait qu'il existait un pays mystérieux où les choses n'étaient pas comme chez nous, avec des dieux zoomorphes. Dans le Malade imaginaire, Thomas Diafoirus déclare : «Ni plus ni moins que les colosses de Memnon.» ça parlait donc aux contemporains de Molière. A la même époque, Lully écrit un opéra sur Isis. A la fin du XVIIIe siècle, Cagliostro crée en France la maçonnerie dite égyptienne, et l'égyptomanie s'empare du domaine ésotérique. Marie-Antoinette commande des fauteuils et des chenets dotés de têtes égyptiennes. Un goût égyptien se répand en Europe, et imprègne la société parisienne.
Quel rôle a joué la campagne de Bonaparte?
Bien évidemment, elle a relancé la mode. Dominique-Vivant Denon a eu une double intuition : il est revenu d'Egypte parmi les premiers, a publié un livre sur son voyage, accompagné d'un volume de dessins. C'était écrit d'une manière tellement moderne que ça a été un succès de librairie fantastique, traduit dans la plupart des pays européens. On y trouve les premiers relevés détaillés des tombes et des frises décoratives. Sa deuxième intuition a été de transformer en succès politique et scientifique cet échec militaire. Denon et l'Egypte jouent de ce fait un rôle fondamental dans la constitution du mythe de Napoléon. C'est ainsi qu'on a vu apparaître à Paris des monuments à l'égyptienne comme la fameuse fontaine du Fellah rue de Sèvres, ou celle du Châtelet. Isis devient la patronne de Paris, elle apparaît sur les armes de la capitale, orne l'un des frontons du Louvre. Très vite, l'Egypte s'est répandue dans les décors intérieurs, dans le mobilier, dans les services de table de Sèvres.
Après Napoléon, c'est 1822 et la redécouverte des hiéroglyphes par Champollion, date de la naissance officielle de l'égyptologie, qui aurait pu mettre fin à l'égyptomanie ; mais pas du tout. Quand j'ai commencé à travailler sur ce sujet, j'avais l'impression que l'égyptomanie fonctionnait par vagues déclenchées par un événement, comme l'ouverture du canal de Suez en 1869 ou la découverte de la tombe de Toutankhamon en 1922. On réalise aujourd'hui que c'est un phénomène permanent et que les pics sont sur une assise très haute. L'ouverture de Suez a entraîné la création d'Aïda, un des opéras les plus représentés dans le monde. Un archéologue célèbre, Auguste Mariette, s'est occupé des costumes et décors de la création. L'exposition Toutankhamon à Paris, en 1967, a été une prise de conscience du public de l'intérêt de l'art égyptien, la mode à l'égyptienne a été très forte : des robes, des bijoux. Le phénomène a été encore plus fort aux Etats-Unis, quand l'expo y est arrivée dix ans plus tard.
Comment expliquer cet intérêt ?
Par une fascination qui débute dès l'enfance. Quand vous emmenez un enfant au département égyptien du Louvre, il se passe quelque chose, il y découvre une représentation différente des corps et les dieux zoomorphes : c'est un monde magique, et la sympathie est immédiate. Et puis les momies, un passage intermédiaire entre vivant et mort. La momie vivante était l'apanage des films d'horreur des années 30 avec Boris Karloff. Elle est devenue l'apanage du domaine de l'enfant par l'intermédiaire du dessin animé et des jouets. Depuis une vingtaine d'années, l'égyptomanie a explosé avec la démocratisation des voyages et les cours d'égyptologie et d'épigraphie ancienne. A Las Vegas, on a construit le complexe hôtelier Louxor sous une pyramide avec un énorme sphinx ; à Dubaï, on voit des gratte-ciel décorés à l'égyptienne.
Mosaïques du Louxor
Mardi 11 juin à 18h30
Conférence autour du
« Louxor, temple pharaonique du 7e Art, retrouve sa splendeur d’antan »
avec Jean-Marcel Humbert
Président des Amis du Louxor, Docteur en égyptologie de l'Université de Paris IV Sorbonne, Docteur ès-lettres et sciences humaines
L’égyptomanie est un phénomène unique de l’histoire de l’art et une des mentalités, qui ne cesse de surprendre... Par sa croissance permanente depuis le XVIe siècle. Par son étendue géographique quasiment mondiale, par la variété des supports et des objets qui l’accueillent, par son indépendance vis-à-vis de l’archéologie aux sources de laquelle elle puise pourtant ses forces vives, aussi, par son mimétisme enfin avec le style de chacune des périodes où elle s’invite.
On ne peut que s’étonner de son succès universel : celui-ci s’explique de plusieurs manières. Fondée sur la fascination exercée par l’Égypte ancienne sur les publics les plus variés, du simple amateur au savant, l’égyptomanie séduit toutes les classes d’âge : l’enfant la découvre à travers des jeux et des livres à sa portée, où la momie occupe une place de choix ; l’adolescent la poursuit dans la bande dessinée ; l’adulte la retrouve enfin à travers mille et une créations au bon goût parfois incertain, qui ne l’empêchent pas d’effectuer volontiers vers elle un transfert de fascination...
Et Dieu sait s’il y avait à faire, tant tout l’Europe a multiplié les liens avec l’Égypte et avec l’égyptomanie : tout prétexte y était favorable, événement politique, ésotérisme, franc-maçonnerie, tombeaux, décors divers…
L’égyptomanie s’exprime partout, entre autre en France, en Italie, en Suisse en Allemagne, ainsi qu’en Belgique et en Grande-Bretagne (deux pays où elle occupe en effet dans ce domaine, une place exceptionnelle) ayant suscité et vu naître un nombre important de manifestations particulièrement originales d’égyptomanie, l’Europe a su également en conserver certaines des plus étonnantes représentations.
Égyptophilie, égyptologie et égyptomanie...
Au moment où on se met à s’intéresser avec sérieux à la tradition du tarot et qu’on songe à trouver ses véritables origines, force est de constater que le sujet de l’Égypte demeure et revient toujours...
Au-delà de l’Égypte moderne et des analyses "géopolitiques" souvent contradictoires, cette attirance et cette fascination reposent sur une tradition occidentale ancienne. Mais dans ce courant permanant, quoique fluctuant selon les époques, égyptophilie, égyptologie et égyptomanie se conjuguent.
Le premier terme d’"Égyptophilie" révèle un amour de l'Égypte ancienne, de sa civilisation et de son art. Elle se réalise par la quête et la collection passionnée de tout objet datant de l'Égypte ancienne ou y faisant référence. Cette attraction universelle venue d’Italie a touché certaines villes à la Renaissance.
Tel est le cas de Lyon, ville du commerce, de la banque et de l’édition dès le XVIe siècle. Des objets de style égyptisant sont très tôt présents dans les cabinets d’antiquités de la région. Puis en 1824, François Artaud, premier inspecteur du conservatoire et antiquaire de la ville ouvre la galerie d’exposition d’égyptologie dans le Musée Saint Pierre. C’est la première en France, juste avant celle du Louvre (1826).
Le second vocable, celui d’"Égyptologie", désigne la connaissance de l'Égypte ancienne, de son histoire, de sa langue, de sa civilisation. C’est un savoir récent, constitué peu à peu au XIXe siècle.
La découverte des monuments pharaoniques commence avec l’Expédition de Bonaparte en Égypte (1798-1801) et la publication de la « Description de l’Égypte » (19 volumes de 1809 à 1822). Mais c’est le déchiffrement de l’écriture hiéroglyphique par Jean-François Champollion en 1822 qui ouvre le temps de la science.
Il faut situer dans ce cadre les recherches réalisées par l’école lyonnaise depuis plus d’un siècle, tant sur le terrain archéologique que celui des études et de l’enseignement. Ici la chaire d’égyptologie est créée en 1879. Elle devient ainsi le second centre hexagonal, après la capitale, de l'enseignement de la langue hiéroglyphique et de la civilisation de l'Égypte antique.
Depuis, les nombreuses thèses de doctorat soutenues démontrent la vitalité de cette chaire, occupée notamment par Victor Loret de 1887 à 1929, puis plus tard par Jean-Claude Goyon, de 1981 à 2000.
Le troisième terme est le plus récent. L’"Égyptomanie" désigne la recréation moderne des modèles de l’Égypte antique...
Chaque civilisation, chaque époque a su intégrer au répertoire utilisé par ses architectes et ses artistes les thèmes et les éléments décoratifs typiques de la civilisation du Nil. L’obélisque, la pyramide, le temple, le sphinx, le lion égyptien, les hiéroglyphes et autres artefacts pharaoniques abondent dans notre quotidien sans que nous sachions toujours les voir comme tels.
Le "goût égyptien" est présent à Lyon depuis le XVIe siècle, avec de nombreux décors éphémères inspirés de l’antiquité, dressés à l’occasion d’événements ou de fêtes solennelles. Ce sont ensuite des monuments permanents érigés avant la Révolution, puis pendant tout le XIXe siècle. Certains d’entre eux décorent toujours Lyon. Mais d’autres villes françaises disposent également d’un riche patrimoine d’égyptomanie, avec des réalisations originales, comme Strasbourg, Toulouse, Nancy, Lille, Bordeaux, sans oublier bien sur Paris qui reste la capitale mondiale dans ce domaine.
ÉGYPTE EN VEDETTE
Jean-Marcel Humbert, historien et conservateur général du patrimoine, travaille depuis plus de trente ans sur l'égyptomanie. Qu'est-ce que l'égyptomanie ?
Pour exemple ; à la boutique du British Museum, on peut acheter salières et poivriers en forme de vases canopes, ces récipients dans lesquels on mettait les viscères des momies. Voilà l’exemple : C'est le détournement d'un objet, tant dans sa forme que dans sa fonction, qui constitue l'"égyptomanie".
Dès les débuts du cinéma, l'"égyptomanie" s'est imposée avec des Cléopâtre, des péplums. Sa place est importante aussi dans la bande dessinée : tous les héros, de Bibi Fricotin à Tintin, en passant par Blake et Mortimer, sont allés en Égypte...
Chaque époque a eu sa propre relecture de l'art égyptien, y ajoutant des caractéristiques stylistiques locales et datées : un sphinx du XVIIe siècle ne ressemble pas à un sphinx du XIXème.
Depuis les années 70, l'"égyptomanie" est devenue un domaine autonome de l'histoire de l'art, étudié comme tel dans les universités, et est l'objet de publications de plus en plus nombreuses.
L'« égyptophilie », quant à elle, désigne le goût pour l'Égypte, qui peut même se transformer en "égyptopathie" (par exemple : quelqu'un qui se fait construire sa tombe à l'égyptienne ou sa maison en forme de pyramide avec sphinx et décors floraux en est frappé...).
À quand remonte l'égyptomanie ?
Si le phénomène existe dans tout le monde occidental, la France et l'Angleterre ont toujours eu une relation particulière avec l'Égypte depuis la campagne de Bonaparte. Mais l'égyptomanie a commencé bien avant...
Elle est présente dès le XVIe siècle : à Fontainebleau, on peut voir une porte égyptienne de cette époque, et au château de la Bastie d'Urfé à Saint-Etienne-le-Molard (Loire), un sphinx égyptien. On se fondait alors sur les récits des voyageurs, on savait qu'il existait un pays mystérieux où les choses n'étaient pas comme chez nous, avec des dieux zoomorphes.
Dans le « Malade Imaginaire », Thomas Diafoirus déclare : « Ni plus ni moins que les colosses de Memnon.» ça parlait donc aux contemporains de Molière.
À la même époque, Lully écrit un opéra sur "Isis". À la fin du XVIIIe siècle, Cagliostro crée en France la maçonnerie dite égyptienne, et l'égyptomanie s'empare du domaine ésotérique.
Marie-Antoinette commande des fauteuils et des chenets dotés de têtes égyptiennes. Un goût égyptien se répand en Europe, et imprègne la société parisienne.
Quel rôle a joué la campagne de Bonaparte?
Bien évidemment, elle a relancé la mode. Dominique-Vivant Denon a eu une double intuition : il est revenu d'Égypte parmi les premiers, a publié un livre sur son voyage, accompagné d'un volume de dessins.
C'était écrit d'une manière tellement moderne que ça a été un succès de librairie fantastique, traduit dans la plupart des pays européens. On y trouve les premiers relevés détaillés des tombes et des frises décoratives. Sa deuxième intuition a été de transformer en succès politique et scientifique cet échec militaire.
Denon et l'Égypte jouent de ce fait un rôle fondamental dans la constitution du mythe de Napoléon. C'est ainsi qu'on a vu apparaître à Paris des monuments à l'égyptienne comme la fameuse fontaine du Fellah rue de Sèvres, ou celle du Châtelet. Isis devient la patronne de Paris, elle apparaît sur les armes de la capitale, orne l'un des frontons du Louvre. Très vite, l'Égypte s'est répandue dans les décors intérieurs, dans le mobilier, dans les services de table de Sèvres.
Après Napoléon, c'est 1822 et la redécouverte des hiéroglyphes par Champollion, date de la naissance officielle de l'égyptologie, qui aurait pu mettre fin à l'égyptomanie ; mais pas du tout. Quand j'ai commencé à travailler sur ce sujet, j'avais l'impression que l'égyptomanie fonctionnait par vagues déclenchées par un événement, comme l'ouverture du canal de Suez en 1869 ou la découverte de la tombe de Toutankhamon en 1922.
On réalise aujourd'hui que c'est un phénomène permanent et que les pics sont sur une assise très haute. L'ouverture de Suez a entraîné la création d'Aïda, un des opéras les plus représentés dans le monde.
Un archéologue célèbre, Auguste Mariette, s'est occupé des costumes et décors de la création. L'exposition "Toutankhamon" à Paris, en 1967, a été une prise de conscience du public de l'intérêt de l'art égyptien, la mode à l'égyptienne a été très forte : des robes, des bijoux. Le phénomène a été encore plus fort aux États-Unis, quand l'expo y est arrivée dix ans plus tard.
Comment expliquer cet intérêt ?
Par une fascination qui débute dès l'enfance. Quand vous emmenez un enfant au département égyptien du Louvre, il se passe quelque chose, il y découvre une représentation différente des corps et les dieux zoomorphes : c'est un monde magique, et la sympathie est immédiate. Et puis les momies, un passage intermédiaire entre vivant et mort. La momie vivante était l'apanage des films d'horreur des années 30 avec Boris Karloff. Elle est devenue l'apanage du domaine de l'enfant par l'intermédiaire du dessin animé et des jouets.
Depuis une vingtaine d'années, l'égyptomanie a explosé avec la démocratisation des voyages et les cours d'égyptologie et d'épigraphie ancienne. À Las Vegas, on a construit le complexe hôtelier "Louxor" sous une pyramide avec un énorme sphinx ; à Dubaï, on voit des gratte-ciel décorés à l'égyptienne... etc...
Depuis une vingtaine d'années, l'égyptomanie a explosé avec la démocratisation des voyages et les cours d'égyptologie et d'épigraphie ancienne. À Las Vegas, on a construit le complexe hôtelier "Louxor" sous une pyramide avec un énorme sphinx ; à Dubaï, on voit des gratte-ciel décorés à l'égyptienne... etc...
" L’égyptomanie, un phénomène en perpétuel devenir "
Jean-Marcel Humbert est un de ceux qui a démontré l’ampleur d’un phénomène unique dans l’histoire de l’art, celui de l’égyptomanie, ou la réutilisation et le détournement des formes archéologiques de l’Égypte ancienne au profit des formes modernes et contemporaines qui n’ont rien à voir avec cette civilisation de l’Antiquité.
Jean-Marcel Humbert en explique les origines et les mécanismes... Deux origines sont à retenir parmi les plus importantes.
Rome en premier, où furent transportés dans l’Antiquité des obélisques, les sphinx de la Villa d’Hadrien et les lions de Nectanébo.
Les monuments égyptiens furent imités par les Romains, comme en témoignent la pyramide de Caïus Cestius, les représentations du dieu Nil, la Table Isiaque en bronze, les statues d’Isis et celles d’Antinoüs. Les artistes européens, en voyage d’étude dans la Ville Éternelle, ont tous contemplé ces monuments et ont pu en ramener des croquis.
Une autre source notable est l’œuvre, au XVIIIème siècle, de Giovanni Battista Piranesi, un architecte et graveur italien qui orna de décors à l’égyptienne deux murs du Café des Anglais à Rome, et qui publia en 1769 quinze planches décorées à l’égyptienne dans : « Diverse maniere d’adornare i Cammini », un ouvrage qui eut un grand retentissement dans le monde artistique d’alors.
Une autre source notable est l’œuvre, au XVIIIème siècle, de Giovanni Battista Piranesi, un architecte et graveur italien qui orna de décors à l’égyptienne deux murs du Café des Anglais à Rome, et qui publia en 1769 quinze planches décorées à l’égyptienne dans : « Diverse maniere d’adornare i Cammini », un ouvrage qui eut un grand retentissement dans le monde artistique d’alors.
Le conférencier explique ensuite les mécanismes qui ont contribué à la diffusion et à la réutilisation sur une échelle étendue des modèles issus de la civilisation égyptienne. Ceux-ci présentent des formes qui peuvent être réadaptées et évolutives, comme la pyramide et l’obélisque.
Ce sont des sujets très prisés du grand public, tels Toutânkhamon ou Cléopâtre. Ils peuvent être utilisés dans des domaines très variés, l’art, la vie quotidienne. Ils présentent des liens d’évidence quand ils sont associés à des musées ou à des établissements d’enseignement. Ils connaissent une diffusion mondiale, car ils sont appréciés et utilisés en Europe, en Amérique du Nord, en Asie. Ils sont les véhicules de symboles récurrents comme la beauté et la douceur de vivre.
Jean-Marcel Humbert poursuit son propos, abondamment illustré, autour des monuments et objets égyptiens "phares" qui furent régulièrement réutilisés jusqu’au XXIème siècle : pyramides, obélisques, sphinx, têtes coiffées du némès, statues cubes, momies, vases canopes, têtes hathoriques, pylônes de temple.
Du XVIème siècle jusqu’à nos jours, toutes ces formes empruntées à l’Égypte ancienne sont réinterprétées pour être employées dans les domaines les plus divers : l’architecture en général, celle des usines et des salles de cinéma, la sculpture, les parcs et jardins, les cimetières, le mobilier, les objets de décoration, la porcelaine, la publicité, le cinéma, la scénographie d’opéra et la bande dessinée. Chaque fois se mêlent des jeux 2 subtils entre l’élément égyptien copié et l’expression artistique de l’époque. Pour finir, quatre "cas d’école" sont exposé : Antinoüs, Isis, Cléopâtre et l’opéra Aïda de Giuseppe Verdi, afin d’en comprendre la multiplicité des utilisations et celle des nouvelles significations qui leur sont attribuées.
L’original romain de la statue d’Antinoüs fut très tôt copié à Rome. Un exemplaire appartenant aux collections du Pape fut saisi et emmené en France par Napoléon. Exposé au musée du Louvre, il inspira nombre d’artistes à Paris, et jusqu’en Russie. C’est ainsi que la statue d’Antinoüs, un peu adaptée, a servi de modèle pour composer la "Fontaine du Fellah" rue de Sèvres à Paris.
L’Égypte antique continue donc d’être omniprésente dans notre univers quotidien, de manières allusives ou appuyées : ainsi l’égyptomanie continue-t-elle d’évoluer en permanence sous nos yeux...
L'Égyptomanie, quand même, se fonde le plus souvent sur des sources archéologiques, scientifiques et artistiques...
La période du début du dix-neuvième siècle dite du "Retour d'Égypte" en référence à la fin de l'expédition de Bonaparte a fait véritablement naître l'égyptomanie
L'égyptologie devient une science connue, et elle offre ainsi de nombreux modèles à l'égyptienne. L'égyptomanie se développe certes grâce au goût du public pour l'exotisme égyptisant. Le grand public accède à une connaissance plus précise de l'Égypte à partir des années 1825.
C'est la fantastique faculté d'adaptation de l'égyptomanie qui explique en grande partie sa permanence et surtout sa faculté d'atteindre toutes les couches de la société
Néanmoins, l'égyptomanie véhicule un symbolisme qui fonde sa particularité. L'Égypte fournit des thèmes et une partie de ses symboles à l'égyptomanie. Cependant, elle n'est pas la seule composante du phénomène car l'originalité de l'égyptomanie se fonde sur des symboles propres.
« L’égyptomanie » est-elle une imposture ?
Ah, l’Égypte ! Prononcez son nom et vous verrez s’illuminer les regards. Des pyramides mystérieuses, une écriture si pittoresque, et puis cette fascination pour le monde des morts et l’au-delà…
S’il est un pays qui depuis l’antiquité fait fantasmer ceux qui l’évoquent, c’est bien celui-là. Et c’est justement contre ce sentiment si répandu que s’élève avec vigueur le livre de Roger Caratini. Car ce qu’il appelle "égyptomanie" s’apparente plus pour lui à une maladie – avec ses fièvres, ses obsessions et son monde clos – qu’à la vérité historique dont il veut se faire l’écho.
C’est poussé par l’indignation que cet encyclopédiste renommé à qui l’on doit l’encyclopédie Bordas et des livres sur l’Islam ou le monde romain, a pris la plume. Sa démonstration permet de comprendre pourquoi.
L’originalité de la civilisation égyptienne avait déjà séduit les Grecs, au VIIe siècle avant J.-C. Ceux-ci, explorateurs forcenés, avaient été surpris de découvrir qu’ils n’étaient pas le seul peuple civilisé à vivre dans cette région du monde.
Hérodote écrira plus tard un livre qui lancera, déjà, une sorte de mode égyptienne qui conduira savants et commerçants grecs à se précipiter en Égypte.
Plus tard, c’est à la renaissance qu’apparaissent en Europe des objets d’art égyptiens ainsi que des manuscrits encore illisibles. Leur aspect mystérieux ainsi que les descriptions des temples et des pyramides éveillent peu à peu un intérêt décuplé par l’incompréhension. C’est bien sûr avec l’expédition de Napoléon en Égypte, puis le déchiffrage des hiéroglyphes de la pierre de Rosette par Champollion en 1822 que l’engouement des orientalistes européens pour l’Égypte se déchaîne.
Mais ce n’est pas contre cet intérêt légitime des savants et des archéologues pour une civilisation passionnante que s’élève l’auteur. C’est plutôt contre la voracité des pilleurs de mastabas, l’obsession des antiquaires véreux et la propension des agences touristiques à vendre un pays imaginaire alors qu’on ignore en fait à peu près tout de la véritable histoire de l’Égypte.
En comparant cette civilisation à celle de la Mésopotamie ancienne où l’on connaît, grâce aux tablettes couvertes de signes cunéiformes, les moindres détails de la vie quotidienne des Sumériens (4000 ans av. J.-C.), Roger Caratini souligne combien au contraire on connaît mal la culture égyptienne.
Ce sont bien les Sumériens qui ont inventé à la fois la vie sédentaire et l’écriture, et non, comme "l’égyptomanie" veut le faire croire, les Égyptiens. Et si les fresques des temples décrivent bien la vie des paysans des bords du Nil, il ne nous est parvenu, contrairement aux civilisations mésopotamiennes, aucun signe d’un système juridique, parlementaire ou social organisé.
Selon l’auteur, si l’Égypte ancienne s’est ainsi, sur plusieurs millénaires, caractérisée par un immobilisme historique, c’est dû à l’isolement géographique et à l’inconséquence de pharaons qui ne cherchaient pas le bien de leur peuple mais bien plutôt la permanence de leur statut.
Quant aux prétendus mystères égyptiens, ils ne tiennent pas face aux recherches approfondies des savants : en ce qui concerne les pyramides, constructions il est vrai d’exception, on connaît aujourd’hui à la fois les moyens techniques qui furent mis en œuvre pour les édifier, le nombre impressionnant – des dizaines de milliers d’esclaves et serviteurs – de personnes qui les construisirent ou encore l’architecture cachée de leur soubassements ainsi que leur signification religieuse. Les supposés mystères qui attirent, aujourd’hui encore, les partisans de "l’égyptomanie" ne reflèteraient donc que le désir forcené d’un Occident en mal de croyances magiques.
(cf : Roger Caratini : « L’égyptomanie, une imposture », Ed. Albin Michel, 264 p.)
Que la civilisation égyptienne ait été l’une des plus grandes, nul n’en doute. Mais, certains en ont fait un fonds de commerce. Un spécialiste s’indigne
TAROTS, ÉGYPTOMANIE ET CARTOMANCIE...
Le "Tarot de Nefertari"
Selon la tradition ésotérique, le lieu d’origine des Tarots ne serait ni l’Égypte ni l’Orient (ni même la mythique Atlantide) ; selon cette tradition, les Tarots auraient vu le jour à la Renaissance auprès des cours du nord de l’Italie : celles de Milan, Bologne et Ferrare... Et les Tarots se seraient ensuite diffusés dans toute l’Italie puis dans le reste de l’Europe, où ils connurent de nombreuses variantes...
L'iconographie du Tarot nait avec les cartes, inspirée par la renaissance naissante. Ceci n'empêche pas de spéculer sur des origines plus anciennes des symboles, des images, reste que ces images ne sont ni anachroniques ni hors normes pour l'époque à laquelle elles ont été créées.
En outre, si l'origine des images, dont depuis Gertrude Moakley la nature a été progressivement affinée (voir par exemple les propositions judicieuses de Michael J. Hurst), les variations de l'iconographie suivant sa réappropriation à différentes époques (par exemple par les cartiers français bien sûr) laissent beaucoup à faire aux chercheurs consciencieux et aux approches plus "libres" et moins pragmatiques.
Les cartes ont vraisemblablement une origine orientale. Elles apparaissent soudainement à partir de 1370 dans l'Europe, quasiment simultanément en Italie et en Catalogne, avec les enseignes italiennes ou espagnoles (bâtons, deniers, coupes et épées) puis avant 1480 avec les enseignes françaises (pique, cœur, carreau et trèfle).
Vers 1470, on trouve les Tarots à Florence où fut créée une variante dite "Germini" ou "Minchiate". Au début du XVIe siècle ils firent leur apparition à Pérouse et à Rome et lors du siècle suivant ils débarquent en Sicile. De Ferrare, ils se diffusent en direction de Venise, de l’Autriche et de la Bohème. De Milan, ils arrivent en Suisse, en France puis en Allemagne, pays dans lequel se développa au XVIIIe siècle une riche production de Tarots illustrés de scènes fantastiques, inspirées du monde animal, de l’histoire, de la mythologie et des tradition et coutumes populaires.
LES CARTES ÉTAIENT UTILISÉES POUR LE JEU AVANT TOUT
Le Tarot est d'abord et avant tout : "un jeu" ; c'est indéniable, et "un jeu d'argent" souvent. L'argent n'est jamais loin du jeu de cartes, mais sa relation intime supposée avec un tradition qui l'associerait à la divination est moins certaine et plus discutable...
Il faut vraiment chercher assez profond pour trouver des utilisations non ludiques des Tarots. Il y en a quelques unes assez rares, (voir à ce sujet le site de M.K. Greer qui recense quelques travaux d'historiens. http://marygreer.wordpress.com/2008/04/01/origins-of-divination-with-playing-cards/).
On note l'absence flagrante de références à la divination par les Tarots (ou plutôt : "Triomphes"). C'est seulement vers 1700 qu'on trouve des traces de commentaires divinatoires sur les cartes à Bologne...
Il faut relever dans cette liste au XVIème, Martín de Azpilcueta qui condamne « el que pregunta, o quiere preguntar al adeuino de algun hurto, o otra cosa secreta, o procura de la saber por suertes de dados, cartas, libros, harnero, o astrolabio » (celui qui interroge, ou veut interroger un devin à propos d'un vol ou quelque autre chose secrète, ou obtient la connaissance par le hasard de dés, de cartes, de livres, de philtre ou d'astrolabe) - c'est la divination ou "mancie" qui est visée, quel que soit le support, et les supports de jeux servent naturellement (reproduisant ou modélisant les "hasards" de la vie ?) à ces pratiques. Un ouvrage anonyme du XVIème siècle laisse entendre que la divination et peut-être même des rituels initiatiques s'opérait grâce au tarochini de Mantegna.
Tarochini de Mantegna
En Italie, il semble que les "tarots" comme le Mantegna ou le Sola Busca furent utilisés comme support à des jeux d'improvisations poétiques à plusieurs époques... Pratique qui se serait perpétuée avec les tarots de Milan, et très tôt dans son histoire, cette pratique était désignée par les termes italiens "Tarocchi Appropriati" (cf : http://trionfi.com/0/p/28/)
Il est évidemment possible que les Tarots comme les cartes ou les dés aient très tôt servi de support de divination, mais ce n'est pas pour cela que les cartes furent créées. Peut-on en dire autant des dés ? Pas si sûr, (cf : à ce sujet Jean-Marie Lhôte, "Le symbolisme des jeux", Berg).
Les Tarots ont aussi pu être utilisés pour de la sorcellerie - ainsi qu'on en trouve la trace en 1589 à Venise. Bref si la "cartomancie" ou la "divination" avec les "cartes à jouer" est attestée assez tôt, ce n'est pas le cas pour les "tarots".
Les cartes des Tarots étaient utilisées à l’origine en jeu avec quelques règles comparables à celles des échecs. Au vu de son caractère "ingénieux", le "Ludus Triompharum" était exclu des ordonnances contre les jeux de hasard promulguées au XVe siècle dans de nombreuses villes du nord de l’Italie.
En outre, grâce à de nombreux documents datant de la Renaissance, l’on sait que dans les salons aristocratiques le jeu des Triomphes était au centre de divertissements raffinés qui consistaient par exemple à inventer des sonnets courtois ou à répondre à des questions ayant trait aux cartes tirées du jeu.
Une autre pratique consistait à associer les figures de Tarots à des célébrités en écrivant à leur propos des sonnets ou plus simplement des devises, tantôt élogieuses, tantôt burlesques ou satyriques. Ces pratiques ludiques et littéraires marquèrent rapidement le pas.
Dès la fin du XVe siècle, un prédicateur dominicain anonyme s’acharnait contre les "Triomphes" en les qualifiant d’opus diaboli et justifiait son jugement en affirmant que l’inventeur de ce jeu, pour entraîner les hommes dans le vice, avait délibérément utilisé des figures respectables au plus haut point, ainsi le Pape, l’Empereur, les Vertus chrétienne et même Dieu.
Au XVIe et XVIIe siècles les Tarots se transformèrent en un vrai jeu de hasard caractérisés par de nombreuses variantes régionales.
Au XVIe et XVIIe siècles les Tarots se transformèrent en un vrai jeu de hasard caractérisés par de nombreuses variantes régionales.
Bien qu'au XVIème siècle Merlin Cocai (pseudonyme de Teofilo Folengo 1527), ait écrit sous une forme littéraire une sorte de traité de lecture divinatoire avec les tarocchi, (basé sur un ouvrage du mage Sarastro - écrit autour de 1450). Ce Teofilo Folengo nous rapporte que la lecture des cartes pour la "pratique prophétique" est couramment en usage dans le nord de l'Italie à son époque.
Du reste, nous savons que le premier document attesté contenant la liste des cartes avec leurs valeurs divinatoires respectives appartient à la ville de Bologne et doit être daté des premières années du XVIIIe siècle. Il encore plus avéré que la divination étaient pratiquée avec les jeux de tarots, dans l’Italie du Nord et à Marseille. Des documents historiques atteste que la cartomancie s’y pratiquaient avec les tarots, et que cet art étaient surtout connu des bohémiens et artistes ambulants...
Les Jeux Annotés...
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