Nicolas Sarkozy évoque rarement sa jeunesse. Sa famille, d’origine immigrée, son enfance, qu’il n’a pas aimée, ses blessures secrètes, comme le divorce de ses parents ou les moqueries sur sa taille. Deux journalistes, Pascale Nivelle et Elise Karlin, explorent dans un livre document, Les Sarkozy, une famille française, cette face cachée du futur candidat à l’Elysée : les vingt-huit années qui précèdent son élection à la mairie de Neuilly. De sa naissance à la découverte d’un meeting politique, des rapports difficiles (...)
Nicolas Sarkozy évoque rarement sa jeunesse. Sa famille, d’origine immigrée, son enfance, qu’il n’a pas aimée, ses blessures secrètes, comme le divorce de ses parents ou les moqueries sur sa taille. Deux journalistes, Pascale Nivelle et Elise Karlin, explorent dans un livre document, Les Sarkozy, une famille française, cette face cachée du futur candidat à l’Elysée : les vingt-huit années qui précèdent son élection à la mairie de Neuilly. De sa naissance à la découverte d’un meeting politique, des rapports difficiles avec son père aux événements de mai 1968, voici les premiers pas d’un inconnu nommé Sarkozy.
Il ne laissera personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. Nicolas Sarkozy n’a pas aimé sa jeunesse. Ni l’enfance ni l’école. C’est à cette époque que le futur candidat à l’Elysée a commencé à construire un parcours singulier. Car sa saga familiale passe par la Hongrie et la Grèce avant la France. Avec un père déconcertant, Paul, né à Budapest, aux vérités successives et éphémères. Une mère énergique, Andrée, fille d’un immigré juif. Un grand-père adulé, Benedict Mallah. Deux frères, Guillaume et François. Une famille dont l’histoire française n’a commencé qu’en 1948.
L’actuel ministre de l’Intérieur a lancé sa carrière politique en s’emparant de la mairie de Neuilly (Hauts-de-Seine) à 28 ans. Pascale Nivelle et Elise Karlin, journalistes à Libération et à L’Express, ont choisi, dans Les Sarkozy, une famille française, de s’intéresser exclusivement à sa vie « d’avant ». Oui, Nicolas Sarkozy a eu une vie avant la politique ! Et ses premières années expliquent pour une part les ressorts du responsable public qu’il est devenu. Ce sont ses secrets de jeunesse.
Le 28 janvier 1955, alors que les « événements d’Algérie » occupent tous les esprits, on fête rue Fortuny [à Paris] la naissance d’un nouvel héritier. Un second garçon. Blond, lui aussi, plus petit que son frère à la naissance. Nicolas, Paul, Stéphane vient au monde l’année où Louison Bobet remporte son dernier Tour de France. Il rejoint bientôt Guillaume dans la petite chambre d’enfant du deuxième étage.
« Trésor » doit partager son royaume avec ce nouveau-né dont les yeux brillent comme deux pierres noires. Pas si simple. Andrée, débordée, épuisée, ne demande qu’à dormir. Elle se fait du souci pour sa mère, atteinte d’un cancer. Adèle meurt un an après la naissance de Nicolas. Benedict, veuf, s’isole dans ses livres. Suzanne, sa fille aînée, est inconsolable. Heureusement, la petite smala s’agite au-dessus de leurs têtes. Sans elle, la rue Fortuny serait un tombeau.
Paul est un mari absent. Il part tôt, rentre tard. Parfois, il ne revient pas du tout. « Trop de travail, chérrrie », glisse-t-il avec son sourire ravageur.
Andrée supporte sa solitude et les mensonges de cet époux qu’elle sait volage. (...) Elle préfère ne pas l’entendre faire le joli cœur avec toutes les dames qui passent à sa portée. Elle est plus tranquille sans lui, même si le calme est relatif avec deux garçons qui s’entendent comme chien et chat.
Deux diables, sous leur angélique blondeur. Depuis que Nicolas sait marcher, ils se battent toute la journée. Le petit asticote l’aîné, qui finit par cogner. Hurlements, arnica, punitions, jusqu’à la prochaine fois. Il n’est pas rare que le Dr Mallah [le grand-père] sorte de son cabinet en faisant les gros yeux. Les deux garçons n’en mènent pas large.
Le divorce de ses parents
Soudain, Paul disparaît. Du jour au lendemain, Andrée se retrouve seule avec ses trois petits [François, le troisième enfant, est né entre-temps] ; son mari s’est déjà installé avec une autre, une jeune Franco-Hongroise, fille d’ambassadeur, qu’il épousera par la suite [ce sera sa deuxième femme]. C’est ce qu’Andrée appellera toujours « un commun accord ». La voici divorcée. (...) Désemparée devant le berceau du bébé et les lits jumeaux de ses aînés, Andrée rassemble ses idées et ses forces. Elle peut compter sur son père, qui se garde de tout commentaire. Et sur sa sœur, Suzanne, en adoration devant les garçons. Les petits Sarkozy et leur mère retrouvent le chemin de la rue Fortuny, l’appartement du deuxième étage où ils ont grandi. Ils ont un toit, une famille, des amis. Reste à leur mère à trouver un travail. Parfois, le soir, Andrée a envie de pleurer, la tête sous l’oreiller.
Nicolas et Paul
Parfois, le père vient attendre ses fils à la sortie de l’école, dans la Lancia Fulvia carrossée par Zagato, qui a remplacé la vieille Frégate. Guillaume, à l’affût du qu’en-dira-t-on, lui a imposé le même coin de rue qu’à papy Mallah. Les voitures de son père sont toujours trop belles ou trop vieilles. Que n’a-t-il une DS noire, comme les parents de ses copains ! Paul, remarié avec une princesse de 20 ans, ne prend pas la peine de faire semblant. Il emmène les garçons dans une pizzeria de la place Wagram, toujours la même. La conversation traîne en longueur. Ces repas sont une épreuve.
Paul Sarkozy interpelle les serveuses, oublie ses fils, qui se tassent sur leurs sièges. Il les dérange, ce père trop frimeur, trop hâbleur, trop séducteur, trop extraverti, trop excentrique. Le contraste entre l’austérité de Benedict Mallah et la prodigalité de Paul Sarkozy est intolérable. François est petit et Guillaume est poli. Nicolas, lui, supporte de plus en plus mal la désinvolture de leur père, ses indifférences, la pension alimentaire qu’il oublie, cette façon de toujours le mettre en rivalité avec ses frères. Paul se pique d’autorité, exige le compte rendu des notes de la semaine d’un ton cassant. Ses enfants savent que la qualité de son regard dépend de celle du carnet de notes. C’est l’affection au résultat. (...) Bientôt, il quittera sa femme pour une jeune fille de grande famille, avec qui il aura deux enfants. Puis il la quittera à son tour pour Inès, 20 ans. A la troisième belle-mère, exaspérés, ses fils inventent la grève du droit de visite. Andrée tente de préserver les apparences. Sans réussir à empêcher les deux aînés d’en vouloir à Paul. Nicolas, adolescent, refuse de le rencontrer pendant trois ans : il ne supporte plus sa désinvolture financière.
L’adolescence
e Nico, pense Andrée en le regardant tordre le nez pour la photo, quel sale caractère ! Il râle, il boude, il passe son temps à asticoter son frère aîné, un adolescent aux jambes interminables. Guillaume, timide et rougissant, teste son charme auprès de lolitas en Bikini vichy qui prennent des poses et le regardent par en dessous. Le petit l’horripile, toujours après lui, qui veut partager ses jeux et ses copains. « Dégage ! » murmure le grand en le repoussant d’une chiquenaude, avant de s’éloigner sans un regard.
Nicolas serre les dents, mur de colère assis sur sa serviette avec les genoux entre les bras. Il les déteste tous, ses frères, les filles, sa mère aussi, qui se moque gentiment de lui. Qu’ils aillent au diable, autant qu’ils sont ! Il se lève d’un bond, disparaît en enfonçant les talons dans le sable brûlant. D’un coup de vélo, il rejoint le club hippique, son coin de paradis.
Ce qu’il aime, ce n’est pas tant monter que s’occuper des chevaux, les brosser, les nourrir, nettoyer les boxes. Il s’est pris d’affection pour le vieux maître de manège, M. Bouille, un officier à la retraite aussi soupe au lait que lui. Il peut passer des heures à l’écouter grommeler, tandis que le commentateur du Tour de France s’égosille à la radio.
Mai 1968
Nicolas Sarkozy enrage. Depuis midi, il n’a pas pu quitter le cours Saint-Louis, interdit de sortie par le directeur : M. Desprez a veillé personnellement à ce que le jeune Sarkozy ne disparaisse pas dans la nature, aujourd’hui. La gorge serrée, il chiffonne le morceau d’étoffe bleu-blanc-rouge qu’il a glissé dans sa poche avant de quitter la maison, donne de grands coups de pied dans le vide. En ce moment, les partisans du Général avancent sans lui. Hier soir, pourtant, il s’est couché le cœur battant : le cortège, il l’a dans la tête, il est déjà dedans, il l’entend. Il imagine l’avancée solennelle sur la plus belle avenue de Paris, les badauds conquis par cette force en mouvement.
Sa première vraie manifestation ! Tous les jours, depuis le début du mois de mai, il suit les informations, l’oreille collée au poste à côté de papy Mallah. Il a écouté le message des Comités de défense de la République, montés à l’initiative du président et qui ont appelé à soutenir dans la rue l’action du chef de l’Etat. Le désordre et la confusion inquiètent le docteur, qui sent venir la fin d’un monde. La France des traditions plie sous la poussée d’une nouvelle société avide de libertés.
Cette fois, c’est décidé : Nicolas va défiler, ce 30 mai. L’intransigeance de M. Desprez le met hors de lui. Il n’a que 13 ans. Son impuissance ne lui a jamais tant pesé. Le fils n’en sait rien, mais c’est Andrée elle-même qui a téléphoné au proviseur pour le supplier d’être vigilant : il n’est pas question que le petit participe à la manifestation. Elle l’a vu, ce matin, qui dissimulait un drapeau dans son poing fermé. Elle les a entendus, elle aussi, les admirateurs du Général, lancer des appels à les rejoindre cet après-midi. Trop excité par les promesses de l’aventure, Nicolas n’a pas perçu la surveillance de sa mère. La politique, pourtant, il sait qu’elle s’en méfie : la brutalité des dernières images qu’elle a vues l’a horrifiée, les bagarres, la menace physique, l’agressivité des policiers. Son petit garçon, dans ce climat d’insurrection ? Elle est catégorique : hors de question ! Mais elle le connaît, son fils, sa détermination, son caractère de cochon - il suffit qu’elle interdise pour qu’il se braque. Elle est lasse, parfois, de se battre contre un visage fermé, un front buté.
Benedict Mallah ne lui sera d’aucune aide. Andrée s’inquiète même qu’il prenne le parti du gamin contre son avis. Alors, comme lorsqu’il avait fallu éloigner Nicolas des mauvaises fréquentations nouées à Chaptal, elle téléphone à Saint-Louis de Monceau. « Monsieur Desprez, je compte sur vous... Vous êtes le seul... A vous il obéira... Assurez-moi qu’il n’ira pas... » M. Desprez s’est engagé. Pour lui, pour tous ceux dont il a la responsabilité, le 30 mai est une date ordinaire, anodine. La ferveur de l’engagement lui est étrangère, la clameur qui monte du cœur de Paris ne le touche pas. « La politique, Sarkozy, vous aurez bien le temps d’en faire quand vous aurez terminé vos études ! »
La fac de droit et la politique
Nicolas entre en droit à Nanterre pour préparer une carrière d’avocat. C’est une université politique, clivée entre gaullistes et gauchistes : en cours de licence, l’étudiant Sarkozy égare dans un couloir sa carte de membre de l’UJP (Union des jeunes pour le progrès), mouvement de jeunes proche du pouvoir. Quelques jours plus tard, une photocopie agrandie du carré de papier est placardée sur les murs de la fac, avec des graffitis au marqueur rouge : « Non aux nervis du pouvoir ! » « Les fascistes dehors ! » Un matin, un délégué de l’UEC (Union des étudiants communistes) tente même de lui interdire l’accès à la faculté, barre de fer à la main. Les temps ne sont pas au débat. Les insultes fusent, puis c’est tout de suite le coup de poing. Cette fois, Sarkozy et ses copains assistent au cours, sonnés mais entrés.
Pourtant, Nicolas n’est pas très souvent présent, sauf pendant les séances de travaux dirigés. « Un jour, je serai président de la République », glisse-t-il déjà au voisin qu’il aime bien, avec une assurance qui laisse ses interlocuteurs stupéfaits. (...) Quelques semaines avant la mort de Georges Pompidou [en 1974], un peu ému mais sûr de lui, il a poussé la porte de la section UDR de Neuilly. « Bonjour, je voudrais distribuer des tracts. » Séduit par son énergie, le trésorier, un certain Philippe Grange, se lie d’amitié avec ce gamin sans complexes qu’aucune des tâches les plus subalternes ne rebute. Aller chercher un café, rester plus tard pour fermer, couper, coller, il n’est jamais découragé, toujours partant.
’illumination de Nice
Délégué départemental des jeunes UDR des Hauts-de- Seine, Nicolas Sarkozy est convoqué à Nice les 14 et 15 juin 1975 pour incarner la jeune garde devant un parterre de barons qu’unit une même détestation de Giscard. Avec son ami d’enfance, le jeune gaulliste Serge Danlos, qu’accompagne sa future femme, il voyage par le train de nuit. Leur compartiment est bondé, la chaleur caniculaire. Impossible de trouver une bouteille d’eau dans toute la rame. Les garçons fraternisent avec des délégués de la Seine-Saint-Denis, leurs voisins de couchette. Un abîme franchi entre deux mondes !
Ils arrivent à Nice avec le soleil, militants éblouis par la lumière du Sud et les longues jambes des filles juchées sur des semelles compensées. La jupe se porte mini, les lunettes « mouches » donnent aux brunes de faux airs de Jackie Kennedy. Nicolas Sarkozy a 20 ans, une belle tignasse, la bouche charnue, des rêves de conquête à fleur de peau. Dans la grande salle du palais des congrès, plusieurs milliers de militants communient à l’ombre d’une immense croix de Lorraine, sous les effigies du Général et de Georges Pompidou. L’heure est solennelle, les discours sont pleins d’emphase. Le jeunot n’aura droit qu’à quelques mots - pour un peu, on aurait presque oublié qu’on lui avait demandé de témoigner !
D’ailleurs, personne n’a pensé à lui réserver une chambre : il va coucher sur un matelas de fortune, aux pieds de Serge Danlos. « Eh ! Nico, ça tombe bien : le lit est petit ! » s’amuse Danlos, jamais le dernier pour moquer son ami. Lequel est bien trop énervé pour songer à dormir. Toute la nuit, il répète à mi-voix le discours qu’il a écrit sur le recto verso d’une feuille de papier arrachée à un grand cahier. Il n’a jamais parlé dans un micro, il n’a jamais eu de public. Sa chance est là, au bout des doigts, une dizaine d’heures à peine le séparent de son destin... Allongé dans l’obscurité, il murmure en serrant les deux poings : « Tu es le meilleur. Tu vas leur montrer ! »
Son tour vient au matin, juste après Michel Debré. L’assemblée frissonne encore des visions prophétiques de l’ancien Premier ministre. L’orateur suivant est prié de ne pas s’attarder - à l’heure où se construit demain, qui se soucie des balbutiements d’un gamin ? La démonstration de force des gaullistes, minutieusement orchestrée par le chef du gouvernement, doit impressionner le président, rappeler à Giscard qui l’a fait roi. « Sarkozy, c’est toi ? » Chirac jette un œil. Celui-là, il ne le connaît pas. « C’est moi. » Le grand ordonnateur des débats a déjà l’esprit ailleurs. « Tu as deux minutes. » (...) Nicolas Sarkozy gravit les marches, avance à la tribune. L’éclat blanc des projecteurs l’éblouit un instant, la tête lui tourne, le plaisir est si violent qu’il est presque douloureux. Il commence à parler dans le bruit. Son propos n’a que peu d’importance. « Etre jeune gaulliste, c’est être révolutionnaire, révolutionnaire pas à la manière de ceux qui sont des professionnels de la manif. » La puissance est dans la voix, sa manière de vous saisir, de vous tenir, de vous contraindre à l’écouter. Il parle vingt minutes, interrompu par des applaudissements.
Le succès est une jouissance charnelle, un instant incandescent d’éternité. L’avenir n’est qu’une quête éperdue pour retrouver l’intensité d’une première fois. En attendant, Nicolas Sarkozy a réussi le défi - sortir du lot. Briller. Se distinguer.
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